Extrait - La saison des mangues

Yuthea passa derrière les maisons à pas silencieux et entra dans la plantation de manguiers. Les arbres se détachaient, très noirs dans la faible clarté de la lune. Il traversa le champ, se dirigeant vers l’extrémité la plus éloignée du village. La terre asséchée par des mois sans pluie craquait sous ses pieds nus.

 Il trouva une longue gaffe de bambou appuyée contre un tronc et la plaça sur son épaule. Le vieux Neang avait fait travailler plusieurs membres de sa famille, mais ils avaient déjà pris du retard. Aux pieds de certains arbres, des dizaines de mangues gisaient, à demi mangées par les fourmis.

 Il choisit un arbre à l’écart, que personne ne semblait avoir touché. Les fruits pendaient au bout de leur tige, lourds et pâles contre la masse sombre de la canopée. Il déplia son krama[1], l’étala dans l’herbe rase, puis il leva la gaffe et entreprit de détacher les mangues. Il travaillait à l’aveuglette, évitant de trop faire bouger les branches. Les fruits tombaient avec un bruit sourd. Parfois il s’arrêtait et tendait l’oreille, scrutant l’obscurité. Tout était silencieux.

 Quelques branches suffirent à remplir son krama. Il le replia, en noua les deux extrémités et le passa sur son épaule. Puis il revint sur ses pas, longeant le remblai qui délimitait le champ.

 Il allait sauter de l’autre côté lorsqu’il vit les deux ombres approcher de la première maison. Il s’accroupit derrière un buisson. Les silhouettes passèrent dans la lumière qui filtrait entre les cloisons de bambou, et il les distingua nettement. La jeune fille se tenait au bras du garçon comme si elle craignait de tomber.

 Ils s’arrêtèrent devant la maison. Il perçut un bruit, comme un chuchotement, et la porte s’entrouvrit à l’étage, découpant une trouée de lumière sur la cour. La fille se tourna vers le garçon. L’espace d’un instant, ils semblèrent se fondre l’une dans l’autre. Puis elle s’écarta et monta les marches à petits pas. Elle se tint en haut, immobile dans la clarté de la lampe, et il contempla la ligne de ses hanches serrées dans un sarong et ses longs cheveux noirs tombant dans son dos. Elle fit un pas à l’intérieur et la porte se referma.

[1] Tissu traditionnel cambodgien aux multiples utilisations, souvent porté en écharpe.